Le matou enchanté

Apolline Baby-doll

Dimanche 31 Janvier 2021 / Eveil

Apolline Baby-doll

Elle pleure à chaudes larmes Apolline. Et je suis encore une fois confrontée à ce monde si absurde qu’est le nôtre.

Comme d’autres élèves qu’il m’est arrivé d’avoir, Apolline pleure pour une fausse note,  un doigt qui a trébuché, un mauvais doigté, un jeu trop lent, trop lourd, pas assez rapide, pas assez bien, trop fort, trop faible, bref, c’est nul, jamais, non, jamais je n’y arriverai ! Les larmes se mettent alors à couler, et je suis, à chaque fois, perplexe face à ce spectacle d’auto-dévalorisation.

Mais ils pleurent pour quoi exactement ces enfants ? Pour ne pas être la perfection incarnée ? Pour ne pas réussir, ne pas contrôler, ne pas maîtriser ?
Combien de fois je dois leur dire que l’erreur est belle, que l’erreur est humaine, que j’aime les enfants qui font des fautes, que rien n’est plus ennuyeux qu’un enfant parfait et surtout, sachez-le, oui, sachez-le, je vous le dis et vous le répète, c’est la tortue qui gagne et pas le lièvre alors cessez de jouer comme si le diable courrait à vos trousses !

Mais ce matin, rien n’y fait.
Cette enfant venue avec sa robe de princesse bleu ciel et toute parsemée de paillettes argentées, cette toute petite fille haute comme trois pommes, avec un tempérament si fort qu’à l’issue de deux années d’éveil, je ne savais toujours pas avec qui la mettre en binôme (j’ai fini par la prendre en solo), cette petite princesse à la volonté d’acier, (et c’est vraiment le cas de le dire), pleure de déception.

Apolline, c’est la volonté, la ténacité, l’exigence, et la… toute petite fille rêveuse et parfois timide qu’elle est. Or c’est la petite fille  qui pleurait ce matin. Dans son petit morceau qu’était La Marche des Bambins, elle ne parvenait pas à synchroniser sa lecture des notes et ses petits doigts. Elle était perdue et s’en voulait beaucoup.

Arrêter le cours
Lui parler.
Lui faire part de son étonnement. Si la prof ne s’énervait jamais pourquoi les enfants s’énervaient-ils donc  contre eux-mêmes ? Cet acharnement ne rimait à rien. Et de toute façon, quoiqu’il arrive, quoiqu’elle fasse, fallait le savoir, la musique n’était pas chose maîtrisable, la musique était l’insaisissable, un tour de magie dont on ne connaîtra jamais le secret…
Elle écoute.  Elle ne pleure plus.
Quelque part, elle sait tout cela.  Mais j’imagine que c’est plus fort qu’elle, que l’exigence d’un système incohérent faut le dire, celui mis en place et auquel tous nous contribuons,  l’emporte malgré elle.
Ce culte de la réussite, (mais de quoi je me le demande souvent) est capable de briser les rêves enfantins,  d’abîmer l’innocence.

Alors je me dis que finalement, la seule chose que je peux offrir à ces enfants, ces adolescents, ces adultes aussi, c’est un moment de douceur.  Une pause musicale où la faute, l’erreur, le doute, l’hésitation, la lenteur, ont le droit d’être là, parmi nous.
Si je pensais en termes d’hospitalité, je dirais même qu’ils sont mes invités.
Tout simplement.