Le matou enchanté

PANDÉMIE Un an plus tard

Mercredi 17 Mars 2021 / Eveil

PANDÉMIE Un an plus tard

Son masque est mis.. Ses mains ont été bien lavées. Le clavier a été désinfecté
La baie vitrée est ouverte. Le purificateur d’air fonctionne.
L’enfant joue du piano.
Plus de la moitié des élèves et parents ont eu la Covid.  Personne ne l’a attrapé dans mon cours, ni moi-même. Comme quoi, les gestes barrières sont efficaces.

Il m’a fallu du temps pour ne pas avoir peur, il m’a fallu du temps pour mesurer l’efficacité des gestes barrières.
Combien d’heures de Zoom ai-je donc fait ? Combien d’heures d’enseignement virtuel ? Comment parvenir à toucher l’enfant ? Comment lui faire ressentir la musique à travers un écran, quand l’élève est si loin et  si détaché d’un cours si désincarné ?

Il faut tout donner je pense.
 Jamais je n’ai autant donné de moi-même durant un cours.
La musique est une onde vibratoire qui remplit l’espace. Un enfant, un adolescent, un adulte, n’importe qui, qu’il soit débutant ou confirmé, emplit l’espace de vibrations que j’écoute.
J’écoute toujours. Totalement absorbée par le son, j’entends l’autre, son intériorité. A traverses les notes hésitantes, les doigts crispés, les paumes moites, je sais exactement ce que l’autre traverse.
La musique est un scanner de l’âme.

Mais là, à travers un écran, avec un son souvent décalé de l’image en raison d’une connexion capricieuse, un son numérique, laid, difforme, et une distance aussi grande entre l’élève et moi-même, qu’étais-je censée écouter et ressentir ? Il me fallait  me jeter corps et ouïe dans un bain sonore indifférencié et y chercher l’autre. Je l’ai fait des heures et des heures. Quasiment tous les enfants ont tenu les cours virtuels. Ils s’y sont même accrochés. Il fallait continuer quoiqu’il arrive. J’en ai même été étonnée. Et touchée aussi, cela va sans dire.
Deux élèves ont lâché cependant. Mais ils auraient lâché de toute façon je me dis. Sans doute que je me console en disant cela.  Mais je crois que le courant, littéralement, ne passait pas, l’affect n’était sans doute pas assez fort pour tenir le lien musical. Car pour tenir des cours Zoom pendant des mois, et je songe au deuxième confinement, où tous, étions épuisés, il faut un fort lien enseignant-élève qui permette de supporter la distance.

Et puis un matin, j’ai senti que j’étais vide, que je ne ressentais plus rien, alors j’ai décidé que c’était terminé, que c’était hors de question de recommencer ça.
A un moment donné, j’ai décidé et agis selon ma conscience.
Les enfants devaient venir. Tous devaient venir. Il nous fallait garder le lien physique, pour la musique, pour notre santé psychique, et pour supporter aussi cette situation.  
Et j’avais enfin confiance : les gestes barrières marchaient.  Et les parents collaboraient. Au moindre doute, au moindre symptôme suspect, ils gardaient l’enfant à la maison.
Je les remercie de nous avoir tous protégés.